COMPTINE DE TES YEUX
à Doriane de Z.
Dans tes yeux qui vont si loin
Deux vaguelettes de ciel
Rient, et sur mon cœur d’embrun
S’écoule un rayon de miel.
Dans tes yeux qui vont si loin
Je vois ton cœur qui se branche
Et qui s’enracine au mien
Comme on prend une revanche.
Dans tes yeux qui vont si loin
Fusent des pointes de feu.
Quand tu n’es plus mon satin
Je me sens tout loqueteux.
Dans tes yeux qui vont si loin
Vacille un croissant de lune,
L’image de ton destin
Sur des plages d’infortune.
Dans tes yeux qui vont si loin
Résonne,
désespéré,
Un cri étouffé sans fin
De mouette pourchassée.
Dans tes
yeux qui vont si loin
Sombrent des mots sans paroles
Et
s’enrayent des refrains
Comme on ferme une corolle.
(« Le Veilleur » - 1984)
_______
UN CRI D’OISEAU
à Lise-Anne de L.
Dans mes bras je t’ai serrée,
Mais serrée à te briser,
Autour de nous la forêt
Figée se cristallisait.
C’était un après-midi
De Janvier endolori.
Le soleil vers les quinze heures
Etait vide et sans couleur.
Des corbeaux trouaient le ciel,
Pour qui étaient leurs appels
Tranchants comme des cisailles ?
Je couvais sous ton chandail
L’arrogance de tes seins.
Tes bras croisés sur mes mains
Tu soufflais « Oh ! Non j’ai
froid »
Dans un plus cruel émoi
Je
te serrais de nouveau
A te brise, mais l’étau
De
mon corps s’amollissait
Chaque fois que je sondais
Tes
yeux qui chauffaient mes yeux,
Tes yeux d’un lancinant bleu.
Des squelettes d’arbres noirs
Tout près appelait le soir.
In-qui-é-tant-tes questions
Toutes bardées de glaçons.
Présage de l’avenir
Elles nous faisaient frémir.
Un cri d’oiseau qui a faim
Se brisa dans le lointain.
___________
TOUT POUR LA FĖE !
à
Fabienne L.
Pour elle
j’ai
déclenché le plan Orphée
-mais pas hors de la Fée-
Surtout qu’il n’y ait pas d’autodafé !
Cela ne m’a pourtant pas empêché de crier :
O ! Fée, O ! Fée
L’écho m’a répondu :
aux fées !, aux fées !
Je lui ai répliqué :
idiot il n’y a qu’une seule Fée !
Il a insisté :
«au fait ! Au fait !
Je lui ai lâché
sec :
c’est fait !
Alors il n’a plus rien dit du tout,
non mais !
De Fée en aiguille, dis-je,
ah ! J’ai
ouvert un atelier « Tout pour la Fée ».
Il y règne un courant fébrile.
Ma plume accourt et court et court,
mon cœur accourt
et bat et tape.
Ah ! Ça je dois avoir la fièvre…
On me disait tantôt :
prenez donc de la Fébralgine !
J’ai répondu tout court et contre tous :
ah oui ! C’est ça, pour que la Fée s’en aille… »
Et puis je me
sens si fécond depuis la Fée.
Tout pour la Fée, tout pour la Fée ;
à Dole tout comme à Gentilly !
Dimanche 29 Mars 1987 – (dans le TGV Paris-Lausanne).
_______
DES MOTS SAIGNĖS POUR TOI
pour Fanette.
Tu les auras tes vers d’amour, ma Clandestine,
Froid tu ne prendras plus à mendier
dans les livres
Des mots saignés pour toi, rimes incarnadines
Qu’un jour tu appelais tendue sur moi, chagrine.
Je t’en cisèlerai d’ambre, d’airain,
de cuivre,
Je t’en adouberai de fiers pour nous survivre.
Sur toi les gens diront : « Dieu ! Quelle a belle chance :
Lui, presqu’éteint, faut-il que vraiment fort il l’aime,
L’œil, la gorge noués sur son chemin d’errance ;
Pour l’éblouir
de chants d’une telle fragrance ;
Faire carillonner Pâques en plein Carême ;
Eclater son désir en psaumes de blasphèmes
Et ne respecter rien qui ne soit son giron ! »
N’embrume plus tes yeux de ce voile d’ardoise
Lorsque l’hiver s’enlise au pied de ta maison,
Se glisse sous ta robe en de mâles frissons
Et
marbre tes seins de frimas couleur framboise.
Réchauffe-toi de mon souvenir, ma Turquoise ;
Dors avec nos enfants-verbes conçus dans l’ombre,
Farfadets de ces nuits au doux muguet de Mai ;
Ces
mille syllabes de feu, ces mille nombres ;
Qu’ils t’emmaillotent, qu’ils te lovent, qu’ils te sombrent
En leurs limbes sereines aux haleines de lait,
Ces rimes-nouveaux-nés
filés à mon rouet !
Tu les auras tes vers d’amour, blanche Princesse,
Ils jailliront brûlants polyspermes de sang
Goutte-à-goutte de ma palette de caresses,
Lénifiant chaque
soir ton acide tristesse
Quand je ne suis plus là, que vaine je t’attends ;
J’enfanterai des mots multiflores, changeants :
Un tapis de printemps émeraudant la plaine,
Mai qui chante un aria
de fin d’après-midi,
Une abeille follette, une occulte halène,
Un vent trousse-jupon friselisant les chênes,
La mer adamantine, un ébat de courlis,
Enfin ce que je bois dans tes yeux assouvis.
Novembre 1979