MANIFESTE DE FLORICA
(Mercredi 18 Novembre 1987)
Monsieur Seghers
Il
fallait que je vous écrive.
J’avais bien préu de vous rencontrer
au printemps prochain,
Et puis vous êtes parti.
Je me sens plutôt bien seul
Avec un reportage que je publie *
mais qui n’est pas de moi.
Avec vos toutes dernières photographies .
Moi, commme d’habitute,
je ne vois que par photographies,
je ne vis que par ouï-dire ;
Enterré que je suis au cloaque à cloportes
duquel je fuis de temps en temps pour la Bourgogne.
Ah ! Etre né en 1900,
Au siècle d’Eluard et
d’Aragon,
au siècle de Prévert
et au siècle de vous !
Mais
je suis né loin de Paris où mon père était né ;
J’habite à Grebauluc par Saint-Calot
Et je connais la répression,
l’excluision, la haine des autochtones.
C’est mon égérie du moment
-Fabienne dite « Petit Faon »-
que vous avez reçue tantôt
Quelques jours avant votre départ pour l’Autre-Dimension.
Toutefois soyons lucides :
L’homme est mort mais pas le nom de l’éditeur
-encore moins celui du poète-
Qui donc êtes-vous pour moi
qui ne vous ai rencontré
que par égérie interposée ?
Vous
êtes un monument, le monument :
Monument français de l’édition
de la poésie contemporaine.
Mais le temps est
venu
pour les monuments,
De se retirer au Parnasse,
D’aller frapper chez Dieu le Père,
Enfin quoi, de passer à la
postérité.
Vian, Brel, Brassens et Pierre Seghers :
Hécatombe et désolation !
En plus les moules semblent cassés.
Vous étiez indulgent
face au patrimoine poétique contemporain.
Vous étiez gentil aussi,
Brassant le superflu et l’essentiel.
Parlant de diversité
là où je vois pléthore.
Vous étiez
un très grand apôtre
Moi je ne suis qu’un mousquetaire.
Vous avez connu la guerre
Mais l’amitié, mais l’amitié,
La complicité,
L’idéal commun.
Il ne me reste que la paix et la duplicité…
Autre temps, autres mœurs et je déteste mon époque.
Fini de penser
il faut vivre pour paraître :
Paraître ou ne pas paraître :
ça c’est la première question.
Vous étiez
poète casqué,
Moi je suis poète sous la botte
des compatriotes…
Autre temps,
autres mœurs !
Oui je
connais une autre guerre :
Nantis contre nantis,
Nantis
contre indigents,
Indigents contre indigents.
En 1987.
La donne n’est pourtant pas nouvelle,
Disons qu’elle est
plus précise,
Plus précise et plus présente,
Omniprésente et plus tenace.
Autre temps,
autres mœurs !
Je ne suis pas un révolté,
encore moins un marginal ;
Çà ! Non, je suis en plein dedans,
Il ne fallait donc pas m’y mettre.
Je suis un tacticien, je fais
avec.
J’y suis, j’y reste et j’entends bien
surtout ne pas perdre mon temps.
La poésie ?
D’accord !
Mais :
Priorité à
la musique !
Priorité à l’essentiel !
Et les innovations comme le fit Aragon !
Et que passent bien devant
ceux qui ont quelque chose à dire !
Cela éliminera beaucoup
de gens…
Et je n’en reste pas là je continue :
Peu à peu ne tenons compte
Que de ceux qui vivent pour écrire
-et non l’inverse-
Ceux qui vivent contre tous,
Ceux qui vivent contre tout.
Qu’on se renseigne :
Je ne fais pas preuve là
de condescendance.
Je ne suis qu’un moins que nanti.
Jalousé par les pouètes-pouètes des
emblavures ;
Haï par les ratés chenus :
« Ce
Nicolas Sylvain il faut le démolir ! »
Dixit un qui reposera bientôt
sous le poids mort aussi
De la dalle des oublis.
Et loin d’ici dans ce Paris qui brû-le-ra bientôt ;
Que
donne ou ne donne pas le ministère de la Culture,
Avec ou sans lui je donnerai.
Qui m’aime me suive !
Qui ne m’aime pas me laisse !
Et que les adversaires
supportent mes bordées cinglantes !
Monsieur Seghers,
Il fallait que je
vous écrive.
A droite de mon bureau-ministre :
Une
photo, la vôtre,
A gauche du même bureau-ministre :
Une photo de l’égérie.
En face de moi, la machine à écrire et du papier.
Dans mes tiroirs, les manuscrits des autres
Et pas un sous pour le moment :
Bref ! La grande école.
Monsieur Seghers
vous étiez
Pèlerin
de la Poésie.
Moi je suis serf de la Culture,
Mousquetaire
de la Poésie
avec rapière, et tout et tout.
Je ne suis pas toujours un tendre,
Plus artisan qu’artiste ;
Qu’il vente ou qu’il neige
ou que donne le soleil.
Avec ou sans une égérie,
Avec
ou sans disciple.
Je suis monolithique.
J’essayerai
bien sûr d’être digne
du formidable message culturel
Altruiste
Que vous nous avez laissé.
En attendant, assez de bavardage :
Au travail !
Ecrit sous le pseudonyme de Nicolas Sylvain, en forêt domaniale du Pochon (Côte d’Or) entre Maison-Dieu et Saint-Symphorien-sur-Saône, mercredi 18 novembre 1087 vers 15 h.
*Reportage paru dans la revue trimestrielle FLORICA, n°21.