LE POĖTE *
Le Robert de
Poche – Paris, 1993 (célèbre et incontournable dictionnaire français) – donne au mot « poète » les définitions suivantes : « I. Créateur en langage
(aujourd’hui écrivain) qui fait de la poésie. II. Personne douée de poésie ». Ces deux définitions ne me paraissent pas du tout limpides, elles semblent même embrouillées comme si
– finalement – on ne savait plus exactement ce qu’est la poésie. Alors, bien que raffolant du passage des frontières – en esprit et par la plume – je vais tenter une approche du sens de cette poésie en partant
d’où je suis, c’est-à-dire de la France.
Une date-phare, une date culte : la Journée de la Poésie du 21 Mars 1982. Jack Lang, ministre de la Culture depuis l’élection de François Mitterrand à la présidence
de la République (1981) lance une Journée nationale de la Poésie – suite à la Journée de la Musique qu’il avait instituée l’année d’avant. Cette initiative de sortir la poésie
des greniers ou des rayons empoussiérés des librairies, fut souvent mal interprétée. Au lieu de faire découvrir les poètes existants, l’on pensa qu’il fallait inciter tous les Français à écrire
de la poésie… De sorte que l’on vit surgir, lors des séances publiques de dédicace et des expositions diverses découlant de cette Journée Nationale, une pléthore de poètes d’un jour dont,
bien évidemment l’on n’a plus le moindre souvenir aujourd’hui… Et le grand public retint de cette manifestation que la poésie, finalement, est un art à la portée de tous !
Et c’est maintenant, plus d’un quart de siècle plus tard, que nous ressentons les méfaites de cette estimation erronée, en considérant que les éditeurs sérieux – faute de la demande des lecteurs –
se risquent de moins en moins dans la publication de la poésie… Aussi ai-je trouvé une alternative en proposant désormais des publications mêlant la prose et la poésie. Ce présent titre comporte d’ailleurs
plus de prose que de poésie. Composons ce livre papier ou cet e-book de genre divers, de textures variées, d’une palette de thème, de quelques illustrations et photographies : et voilà un ouvrage attrayant et convivial
qui demeure toutefois didactique. Car la poésie est boudée, et par les lecteurs qui n’en achètent plus, et par les poètes qui refusent d’apprendre à l’écrire…En 2014, éditer un ouvrage
uniquement composé de poésies est une erreur dispendieuse. La seule poésie assurée de s’exprimer est celle qui est mis en musique et chantée par un interprète de talent. Aussi, des maîtres tels que
Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré – et d’autres, je ne puis les nommer tous – sont passé à l’immortalité en étant assurés de l’édition sans fin de leurs œuvres.
Une mention spéciale au génial chanteur espagnol Paco Ibañez – dont le passage à l’Olympia de Paris en 1973 laissera le souvenir d’un évènement mythique. C’est grâce à lui que j’ai
découvert la poésie espagnole d’aujourd’hui et de toujours. C’est grâce à lui que j’ai porté une révérence particulière à la langue espagnole.
Certes, les grands auteurs français de tous les
siècles : Villon, Ronsard, Verlaine, Aragon seront toujours édités aussi bien en ouvrages de luxe qu’en livres de poche ; mais relevons bien la popularité supplémentaire – auprès du grand public
– que l’art de la vraie chanson peut leur apporter de surcroît.
De nos jours, l’authentique auteur irrésistiblement attiré par l’écriture poétique,
seule, sans musique, doit prendre en considération les deux règles draconiennes suivantes :
-
apprendre à écrire,
- écrire pour des lecteurs.
Chaque poète pratiquant
la poésie depuis assez longtemps peut donner un avis, personnel, sur ce qu’est pour lui la poésie. L’estimation varie d’ailleurs d’un poète à l’autre. Il n’est pas question pour moi de statuer
sur ce qu’est ou sur ce que n’est pas la poésie. Aussi, simplement, vais-je vous faire part, non pas de mes définitions de la poésie, mais de mes estimations. (Je vous promets de ne pas m’étendre sur l’une
des propriétés de cette poésie qui, puisqu’elle utilise moins de mots que la prose, est une discipline pour le paresseux intellectuel que je suis…)
La formation de base du poète : commencer par l’écriture de la prose et passer ensuite à celle de la poésie.
La concision : un poème est un bijou, une ciselure, un parfum. Il ne convient pas qu’il tombe dans le verbiage et le bavardage. Et
s’il est de quelque longueur il doit passionner le lecteur jusqu’au bout (cf. Aragon).
La musique :
en faire par tous les moyens : par la rime, par la répétition des mots (cf. Charles Péguy), par des inventions personnelles dans le choix et l’agencement des mots. Plus encore, vue la prolifération de l’exécrable
poésie charriée quotidiennement à doses massives sur l’internet international – ce qui en fait un genre mineur, bâtard, inapte à l’édition traditionnelle – convient-il de la mettre en musique
et de la chanter soi-même ou de la faire chanter…
Et nous abordons l’étude des étonnantes facultés du poète – né poète.
Le poète a réellement quelque chose à dire. Il possède suffisamment de richesses en lui pour ne pas être contraint de faire appel à l’actualité
du moment pour trouver quelque chose à dire ; afin de faire voir qu’il est quelqu’un de bien puisqu’il pense à ce qui se passe dans le monde… Ainsi donc le poète n’est, ni un mouton, ni un hypocrite.
Le poète est toujours d’une grande sensibilité. Sensibilité enfouie ou bien extravertie.
On peut alors le comparer à une pellicule photographique qui absorbe les lumières lui parvenant et qu’il va fixer sur le papier par la magie de ses mots à lui – qui ne sont pas les mots de tout le monde.
Le poète est un puits de contradiction. Dans la mesure où il devient réceptacle de ce qui l’entoure, il
peut parfois être en conflit – un conflit entre lui qui reçoit des impressions malgré lui, et ces impressions qu’il peut juger négatives ou franchement noires. S’il obtempère à ces pénibles
sollicitations du monde, on le dit « poète maudit ». Et s’il se ressaisit, sans doute peut-il être enclin au mensonge : on ne veut pas qu’il décrive le monde tel qu’il est ? Eh
bien ! Il va le transcrire tout beau ce monde si laid… Il va donner dans l’eau de rose pour faire plaisir aux sbires d’un certain nouvel ordre mondial qui veut tout normaliser , verbaliser, aseptiser, asexuer, robotiser pour que tout
soit plus facile à gérer et à dominer par la future dictature mondialiste. Ainsi le vrai poète n’est pas libre d’écrire ce qu’il veut, il lui faut la qualité suivante :
Le poète est un visionnaire un intuitif pur qui estimera sans faille l’opportunité du moment pour écrire
ce qui doit être lu. Ce qui doit être lu, un jour, pas forcément de son vivant, d’ailleurs. Le vrai poète n’est pas calculateur, il transmet ce qu’il croit être utile de transmettre à ses semblables ;
sans arrêter un calendrier pour le succès de ses écrits. Ce qui ne vaut rien disparaîtra sans laisser la moindre trace ; ce qui est utile pour ses semblables un jour sera connu par le plus grand nombre.
Le poète est un instinctif. Il procède de l’esprit de finesse et non de celui de géométrie.
Un vrai poète ne raisonne donc jamais.
Le poète est fréquemment malheureux. A
moins de vivre très longtemps pour apprendre à se connaitre vraiment ; à moins d’avoir dompté toutes les forces incontrôlables qui conduisent sa plume, il sera souvent un être à deux visages.
Le poète peut avoir la chance de mettre son talent au service d’une grande cause ou bien d’un être
hors du commun – cette dernière issue demeurant toutefois rarissime. Les grandes causes ne manquant jamais de par le monde, je retiendrai le cas de l’être d’exception duquel le poète va devenir une sorte de secrétaire.
Je vous emmène en Allemagne. Clémens Brentano (1778-1842). Auteur de romans, de nouvelles, de satires, de comédies, de drames et de poésies diverses ; il est réputé pour sa vive imagination et une bizarrerie systématique.
Né protestant, il se convertira au catholicisme et passe ses dernières années dans une abbaye de Münster. Ses écrits sont empreints d’un certain mysticisme. Mais ce qui devait rester de lui – et lui assurer une
postérité voulue par l’Autre Dimension – est son travail de « secrétaire » qu’il fit au chevet de la grande mystique Anne-Catherine Emmerich (1774-1824). Elle l’appelait souvent « pèlerin ».
Les pages écrites au service de cette âme d’exception firent sa réputation définitive.
Le
poète peut devenir lui-même un être d’exception et voir ses poèmes mis en musique et chantés – ou réédités sans discontinuité – longtemps après sa disparition de
notre plan terrestre. Citons Jean de la Croix (Juan Yépes) saint et mystique espagnol (1541-1591). Sa poésie composée en langue castillane, dans les formes du temps, est faite de 999 vers. Des poésies de sainte Thérèse
de Lisieux (Thérèse Martin) carmélite française (1873-1897) une bonne douzaine de CDs a été enregistrée. Bientôt, peut-être même très bientôt – une première tentative
de datation, fantaisiste, avait même été programmée pour le 21 décembre 2012 – une vague de tribulations sans préavis et sans précédent ravagera le monde en détruisant tout le patrimoine
culturel de l’humanité. Les poètes d’alors chanteront les mots pour la survie des âmes de leurs semblables ; s’en sera fini des artistes mercenaires et astucieux créant ce que le monde a envie d’entendre ;
s’en sera fini de composer servilement pour le poétiquement correct qui rapportait palmes académiques ou fauteuil d’Académie, Grand Prix national de la chanson, Légion d’honneur et postérité dans
les manuels scolaires…Les cendres des statues et des tombeaux des gloires factices – et combien éphémères – disparaîtront même sous les tempêtes apocalyptiques…
Chère lectrice, ou cher lecteur : après ces quelques réflexions, quels vœux puis-je vous adresser – pour le cas où vous écrivez
de la poésie ou que vous désirez en écrire ? Je vous exhorterai en première instance à ne pas écrire que de la poésie…Je vous souhaite, globalement, d’être sensible, de ne pas être
un puits de contradictions, d’être visionnaire, d’être intuitif, d’éviter de vous rendre malheureux, d’avoir réellement quelque chose d’utile à dire à vos semblables, de fuir la vanité
des prix et des médailles en chocolat, de pouvoir mettre votre talent au service d’une grande cause ou d’un être d’exception, d’être utiles à vos semblables lorsque tout semblera perdu et, bien évidemment,
de devenir vous-même un être d’exception – pour le cas où cela ne serait déjà fait !
C’est la grâce que je vous souhaite !
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*Extrait de « FLEUR, EN JOUE ! » dédié à Céline Nguyen.
(E-book et livre papier, 178 pages, à : Numilong.com -
ISBN : 978-2-9516161-8-9 – Mai 2009- 14 €.)
Repris dans « LE POÈTE, CE ROI » » e-book sur
www.nicolas-sylvain.jimdo.com